Wednesday, February 5, 2020

Les Racines du Mal (1995)

Les Racines du Mal a certainement quelque chose de fascinant. Ce pavé de 600 pages dans la collection Série Noire s'ouvre sur un premier chapitre d'une centaine de pages décrivant la cavale meurtrière d'un tueur en série convaincu d'être harcelé par des aliens-Nazis tuant au hasard avec une violence débridée. Les trois chapitres restant décrivent le parcours d'un scientifique équipé d'une neuromatrice, un ordinateur super-puissant contenant une intelligence artificielle révolutionnaire. Il s'intéresse d'abord au cas du tueur fou - nommé Andréas Schaltzmann dont il tente de prouver l'innocence sur quelques meurtres qui lui ont été faussement attribués dans la pagaille. Après le fiasco du procès, les années passent, le livre se transforme en œuvre de science-fiction : le chercheur participe à un projet scientifique très ambitieux. Mais il finit par être rattrapé par son passé : les meurtres attribués à tort à Schaltzmann seraient l’œuvre d'une secte millénariste commettant des atrocités à travers l'Europe. Avec l'aide de sa neuromatrice qui n'est pas sortie indemne de l'exploration de la psyché de Schaltzmann, il se lance sur leur piste...

Il n'est pas difficile d'imaginer que pour un second roman publié chez Série Noire, Dantec a peut-être eu la folie des grandeurs. Son ambition démesurée a accouché d'un livre qu'il aurait peut-être fallu couper en trois (peut-être à l'image du Cycle d'Ender d'Orson Scott Card, aux trois volumes très différents), ou du moins élaguer largement.

Car si les deux enquêtes sont intéressante, parfois prenantes, elles ne justifient pas vraiment les nombreuses pages de présentation des victimes, ni de si longs et nombreux retournements de situation. Leur connexion n'est finalement qu'assez ténue, et la neuromatrice n'apparait bien souvent que comme un gadget farfelu qui lui non plus ne justifie pas vraiment qu'on relie ainsi deux affaires meurtrières finalement relativement distinctes.

Là où Dantec s'épanche assez largement sur la secte de tueur qui a élaboré une compétition cruelle de meurtres de familles dans les montagnes d'Europe, la folie de Schaltzmann semble assez vite balayée dans un charabia christique Nazi cosmique incandescent plutôt brouillon.



Brouillon, c'est peut-être ce qui décrit le mieux Les Racines du Mal : pas forcément dans le style, basique et parfois un peu agaçant avec ses répétitions autosatisfaites (les sourires malicieux du narrateur, les fractales informatiques et les feulements digitaux de la neuromatrice, les "Boje Moi!" du personnage féminin bien peu développé, etc.), mais plutôt dans la construction globale du récit et de son univers, qui ne va que rarement au bout de ses thèmes ou de ses farfelues digressions sci-fi.

On est ainsi censé accepter qu'en quatre ans (le bouquin démarre en 1995, année de sa sortie, et se termine en 1999), le paysage urbain de la France change parfois du tout au tout, que les télécommunications on fait un bond de géant - et surtout se sont largement démocratisées, qu'il existe des hôtels entièrement robotisés, que l'intelligence artificielle est quasiment arrivée à un niveau de conscience humaine, etc. Pendant ce temps-là, l'éternelle cycle de la mode a fait une nouvelle révolution et tout le monde arbore désormais des coupes de cheveux "néo-seventies". Mouais.

On sent tout aussi bien que le charabia pseudo-scientifique qui entoure toute l'utilisation de la neuromatrice n'est que bien peu maîtrisé par son auteur, qui nous assène des centaines de fractales, rhizomes et autres termes mystérieux pour justifier toute une technologie qui ne change fondamentalement pas grand-chose au déroulement du récit.

Le côté fourre-tout des Racines du Mal, son aspect hybride entre polar et S-F, ses meurtres sordides rendent indubitablement son histoire fascinante par moments, hélas trop courts et trop éloignés. La plupart du temps, on se perd dans les méandres d'une enquête qui ne justifie que rarement sa longueur.

Sunday, January 5, 2020

Aux origines du Mask



The Mask - intégrale, vol. 1 (Delirium, 2019)
Scénario : John Arcudi / Dessin : Doug Mahnke

On pourrait comparer The Mask aux Tortues Ninja : là où la série animée produite de 1987 à 1996 mettant en scène les reptiles combattants plonge le comics original (plus sombre et plus violent) dans l'obscurité, le film de 1994 avec Jim Carrey occulte pas mal l'oeuvre originale, là encore un comics assez (voire carrément, en fait) sanglant.

Difficile de ne pas se laisser aller au jeu de la comparaison avec le film, surtout quand il s'agit un classique de son enfance. Et d'ailleurs, pour l'avoir revu assez récemment, il conserve tout son charme et son efficacité (mais peut-être qu'en avoir moins usé la VHS que d'autres films du même genre a joué en sa faveur).


 

Le concept global est le même : un individu, pas forcément un gros winner dans la vie, met la main sur un mystérieux masque qui le transforme en créature loufoque invulnérable lui permettant d'assouvir tous ses fantasmes. Première différence, au cours des deux histoires originales que rassemble cette première intégrale (publiées de 1991 à 1993, il s'agit donc des seuls numéros publiés avant la sortie du film), plusieurs propriétaires du masque défilent : un homme à la vie bien rangée, sa petite amie, le détective chargé de retrouver le criminel délirant, et enfin un gangster miteux. Les différents porteurs ne modifient qu'à peine la personnalité du "Big Head", qui est bien le protagoniste central de l'ensemble, même si son unique ambition semble être de semer le chaos.

Seconde différence : si le film avec Jim Carrey comporte bien quelques scènes de violence absurde qui passerait peut-être moins bien aujourd'hui, l'ensemble a été plutôt édulcoré. Ici, toutes les histoires tournent autour de pugilats avec la pègre, ce qui offre son lot de mafieux offerts en chair à canon et mitraillés allègrement dans de grandes gerbes d'hémoglobine. Mais les représentants de loi y passent aussi...


En baissant le niveau de violence, le film a également monté d'un cran le délire loufoque de l'ensemble, reposant sur le génie de Jim Carrey. Si le clown à la tête verte qui prend possession du corps des plus ou moins malheureux propriétaires du masque a bien une personnalité totalement exubérante, est capable de sortir des fusils d'assaut et autres masses d'armes de nulle part et de se déguiser en chevalier ou en cuistot juste pour soutenir un gag vaseux, le mitraillage en bonne et dûe forme prend toujours le pas sur les facéties.

Le dessin ne paie pas de mine au premier coup d'oeil, avec des compositions pas toujours incroyables et un léger manque de personnalité. Mais la relative sobriété des décors ne fait que mieux ressortir un personnage aussi haut en couleurs, et l'ensemble prend un charme assez désuet. Quant aux explosions de violence, elles sont rendues avec une brutalité assez frappante.

Bref, un comics bien sympathique avec ce vernis d'insolence typique du début de la décennie, peut-être moins délirant que le film, mais plus brut et impertinent.